エピソード

  • Continuer à tenir bon
    2022/11/05

    « Tiens bon ! » aimait-il répéter aux plus jeunes, comme pour rassurer quant à l'issue heureuse de la lutte que mènent les peuples africains pour améliorer leur destin. Jean-Pierre Ndiaye n'est plus. Mais, plus que jamais, cette « certitude d’espérance » doit être entretenue.

    Depuis l’annonce de sa disparition, ce 1er novembre 2022, c’est un torrent d’hommages qui salue la mémoire du Sénégalais Jean-Pierre Ndiaye. Qui était donc cet intellectuel, qui semble faire l’unanimité des éloges ? A-t-il réellement marqué des dizaines de millions d’Africains, depuis les années 1960 ?

    Jean-Pierre Ndiaye était, en effet, un esprit vif. Une belle plume. Belle et surtout puissante, qui transmettait des vibrations propres à vous ébranler, à vous stimuler. Sociologue, devenu célèbre par les textes qu’il signait dans Jeune Afrique, il ne se complaisait guère dans la vanité des titres. Il avait cette liberté de ton propre à ceux qui ne recherchent rien pour eux-mêmes, n’attendent rien de personne, et peuvent donc s’offrir le luxe de déplaire.

    Là où tant d’intellectuels africains, au nom de leur carrière et de leur réussite sociale, finissent par se perdre dans des concessions affligeantes, ou même dans des compromissions, Jean-Pierre Ndiaye vivait en harmonie avec ses convictions. Il était d’une intégrité qui confinait à l’oubli de soi. De cette liberté, il a payé le prix, jusqu’au bout ! Pour s’offrir un tel luxe, il avait, à ses côtés, une dame d’une sérénité immuable, enseignante, compagne d’une vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique : Madeleine, « sa » Mady !

    En quoi pouvait donc consister, concrètement, cette vie consacrée à veiller sur le destin de l’Afrique ?

    Il proposait, sur les questions essentielles qui interpelaient l’Afrique, une réflexion incisive. Il n’est pas un défi à relever par les peuples africains, sur lequel Jean-Pierre Ndiaye n’ait réfléchi ou écrit. Il se préoccupait tout particulièrement du destin de l’homme noir, d’où qu’il vienne, où qu’il vive. Lorsqu’en 1973, il interpelle Léopold Sédar Senghor, c’est d’abord sur la nécessité d’un soutien à la minorité noire du Sud-Soudan, « méconnue de l’intelligentsia et de l’opinion africaine », disait-il. Des échanges épistolaires à la fois tranchants et feutrés, dont Senghor ne s’offusquera guère. Mieux, il invite son jeune compatriote à l’accompagner dans nombre de ses voyages, notamment dans des sommets panafricains, pour que Jean-Pierre Ndiaye constate par lui-même les efforts des dirigeants pour résoudre les crises sur lesquelles lui les jugeait défaillants.

    Né au Sénégal, il a grandi en Guinée, mais, c’est en passager clandestin qu’il arrive à Bordeaux, en 1952, sur un bateau chargé de tirailleurs sénégalais à destination de l’Indochine. Jean-Pierre Ndiaye échoue dans un milieu d’enseignants, républicains « exilés » de la guerre d’Espagne, qui lui inoculent la passion de la politique. Puis il s’inscrit en sociologie, et suit assidument les cours du père dominicain Louis-Joseph Lebret, économiste.

    Sa vie, dit-on, a été faite de belles rencontres. Quelques exemples ?

    Alioune Diop, le fondateur des éditions Présence africaine, le nourrit de ses conseils. La vocation de Jean-Pierre Ndiaye est claire : penser l’Afrique. Il fonde donc le Bureau d’études des réalités africaines (Béra), qui publie la toute première enquête sur les étudiants noirs en France. En 1963, il est invité à donner quelques cours dans deux prestigieuses universités américaines : Georgetown, fondée par les jésuites, à Washington D.C., et UCLA (Unià Los Angeles). Il est accueilli par l’immense Dizzy Gillespie, va à Harlem rencontrer Malcom X. En France, il fréquente l’intelligentsia de gauche, dont un certain Jean-Paul Sartre.

    De ces très belles rencontres, ses lecteurs ont eu leur part. À ceux qui n’ont pas eu cette chance, il reste Afrique, passion et résistance, un ouvrage à l’initiative de sa fille, Shuana, qui rassemble l’essentiel de ses meilleurs textes. En plongeant dans ces quelque 530 pages, l’on se demande parfois si ce n’est pas par choix que tant de peuples croupissent encore dans le sous-développement, préférant se mentir, à coups de slogans ronflants sur l’émergence.

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  • Dadis Camara et «son» honneur
    2022/10/29

    Lorsqu'un ex-putschiste se soucie davantage des égards qu'il estime dus à son rang qu'aux souffrances infligées aux Guinéennes et aux Guinéens.

    Un mois après l’ouverture du procès sur les massacres du 28 Septembre 2009, les Guinéens ont eu droit, cette semaine, à quelques bouts de vérité, de la part de l’aide de camp du capitaine Dadis Camara, à l’époque. Cette brèche dans la stratégie de dénégation convenue par les accusés n’indique-t-elle pas que ce procès va peut-être enfin s’engager vers un peu plus de sincérité ?

    Jusque-là, les accusés narguaient les victimes avec leurs non réponses. Et « Toumba » Diakité s’est un peu oublié, en effet. Mais, il semble avoir déjà repris ses esprits. Comme si tous étaient persuadés qu’à force de se taire en chœur, ils finiraient par convaincre la cour de se ranger à leur logique, pour conclure qu’il n’y a eu, finalement, rien de très grave, ce jour-là, dans le stade et tout autour. Et pourtant ! 157 morts, des centaines de blessés, sans compter ces femmes traquées, violentées et violées en nombre. La justice est une nécessité. Il reste à espérer qu’elle se donnera le temps de ne pas bâcler ce procès. Ce serait un tel désastre, pour la Guinée, si tout cela devait ne consister qu’à calmer les victimes, pour réhabiliter quelque accusé à ne pas mécontenter, sous prétexte qu’il pèserait d’un poids ethnique, politique ou autre.

    Dadis Camara a prévenu qu’il était là pour laver son honneur. Il doit donc, lui aussi, désirer la vérité…

    Mais, au-delà du verdict de cette cour, il y a, ce que l’on appelle la responsabilité. En politique, cela s’assume. C’est le chemin de l’honneur. Les faits, ici, c’est d’abord le contexte et l’objet de ce rassemblement. À la mort du président Lansana Conté, en décembre 2008, Dadis Camara s’est emparé du pouvoir. Un coup d’État contre un mort. Tout heureux d’avoir ainsi vaincu sans péril, il s’exhibe quotidiennement dans le clinquant de sa condition inespérée de nouveau roi. L’opinion africaine s’amusait alors de ce qu’elle décrivait comme « le Dadis Show ». Pas vraiment fiers du sort si cruel qui s’acharnait ainsi sur leur pays, les Guinéens étaient dans leurs petits souliers.

    Mais, lorsque Dadis a laissé entendre qu’il pourrait bien se porter candidat à la présidence de la République, opposition, société civile, citoyens ordinaires se sont levés pour contrarier son projet. Ils se donnent rendez-vous le 28 septembre, date anniversaire du fameux « non » de Sékou Touré au général de Gaulle.

    Pour éviter toute surprise, ils avaient choisi un lieu clos, au lieu des artères de Conakry. Mais, ils ne risquaient pas moins de compromettre les visées du capitaine. On a donc envoyé des soldats sans scrupules les traquer dans le stade. Et cette responsabilité, personne n’a le courage de l’endosser.

    Mépriser de la sorte les morts, les femmes et les blessés, tout en exigeant d’être traité comme un ancien chef d’État n'inspire pas le respect.

    Après tout, n’est-il pas tout de même un ancien chef d’État ?

    Vous voyez à quel point il a fallu que la notion même de chef d’État soit dévoyée, dans cette Afrique, pour que chaque personne qui s’empare du pouvoir, revendique, avec autant d’aplomb, un traitement d’ancien chef d’État, surtout là où les Guinéens attendent juste un peu d’égard pour toute la violence subie, pour leurs morts, leurs mères, sœurs ou épouses violées ?

    En plus, ces héros manquaient terriblement de courage. Car, lorsqu’il a été suggéré que ce massacre pouvait être assimilé à un crime contre l’humanité, Dadis a cherché à l’imputer à son aide de camp. Comme l'empereur romain qui, sentant la foule romaine fondre sur son palais, demande à Tigellin, son bourreau à tout faire, d’aller avouer au peuple que c’est lui qui a mis le feu à Rome. Dadis se faisant insistant, « Toumba » Diakité a tenté de lui brûler la cervelle. Il a manifestement eu plus de chance que ses compatriotes tombés ce funeste 28 septembre.

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  • Piégés par les fourmis magnans
    2022/06/18

    On sait quand débute l’insécurité terroriste, mais nul ne peut en prévoir la fin. Et il faut, juste, une réelle confiance en soi pour prétendre circonscrire ce fléau à une échéance prévisible.

    À Seytenga, le bilan est lourd : 86 civils massacrés par des jihadistes, qui avaient pris leur temps, pour parachever l’horreur qui a plongé le Burkina Faso dans la perplexité. Qu’adviendra-t-il de la junte, si ces terroristes continuaient de massacrer ainsi, étant donné que c’est pour en finir avec ces massacres à répétition que les militaires avaient, en janvier dernier, renversé le président Roch Marc Christian Kaboré ?

    À l’évidence, il était présomptueux, de la part de cette junte, de justifier son putsch par ce qu’elle considérait comme l’incapacité du président Kaboré à protéger les populations contre la violence des jihadistes. Le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba pensait pouvoir faire mieux. Mais, au rythme auquel vont les tueries, des questions gênantes vont se poser à lui. À quoi sert-il de mettre un coup d’arrêt à la vie démocratique de la nation, pour passer le plus clair de son temps à constater les massacres, comme celui qu’il a chassé du pouvoir ?

    Un auditeur de RFI s’est même offusqué, cette semaine, de ce que ces officiers n’en finiraient pas de se partager les postes juteux à Ouagadougou. Si c’était vrai, comme ce serait désespérant !

    Il existe, dans cette partie de l’Afrique, une espèce de fourmis, dites légionnaires, que l’on appelle aussi fourmis magnans. Lorsqu’elles envahissent votre maison, votre capacité de riposte est amoindrie. Même lorsque vous croyez vous en être débarrassé, il en surgit encore, des coins et recoins, qui vous piquent, et cela fait très mal. Le terrorisme auquel est confronté le Burkina, comme, du reste, le Mali et le Niger, est comme les fourmis magnans ! Quand elles sont dans la demeure, il faut de la patience, de la rigueur et de la persévérance, pour venir à bout.

    Il n’empêche que c’est sous Roch Marc Christian Kaboré que ce terrorisme s’est installé au Burkina, vous en convenez ?

    Qui donc a « convié » les jihadistes au Burkina ? Kaboré a été élu président le 29 décembre 2015. Le colonel Isaac Zida, « numéro deux » du RSP (la garde présidentielle de Blaise Compaoré) et miraculeusement Premier ministre du Faso depuis la chute de son patron, quitte ses fonctions, le 6 janvier 2016. Neuf jours plus tard, le 15 janvier, trois attentats violents frappent, en plein centre de Ouagadougou, dont Le Cappuccino, et l’hôtel Splendid. Ce dispositif terroriste avait forcément été mis en place bien avant l’élection de Kaboré. D’ailleurs, on apprendra que certains jihadistes avaient table ouverte à Ouaga 2000 depuis des années.

    À ceux qui s’étaient étonnés de voir à la tête du gouvernement né de l’insurrection le « numéro deux » de la garde du président déchu, les stratèges de l’insurrection expliqueront que c’était le seul moyen de s’assurer que d’autres militaires ne songent à déstabiliser cette transition. Peut-être qu’à force de surveiller ses propres camarades militaires, Zida a oublié de protéger le pays contre la menace jihadiste, pour léguer aux civils un Burkina des plus vulnérables, et déjà gangrené par les fourmis magnans.

    Le président Kaboré n’aurait-il donc aucune responsabilité dans l’aggravation du mal ?

    Si ! Forcément, puisqu’il a passé six années au pouvoir. Mais, à force d’instrumentaliser son incompétence supposée, ses détracteurs avaient fini par installer la question du terrorisme au cœur d’un profond malentendu. Certains pensaient même qu’il suffirait que le Grand-frère revienne d’Abidjan pour que l’ordre règne au Burkina. Mais, non ! Ce sont des fourmis magnans ! Si vous les laissez entrer, elles mutent, se reproduisent. Souvenez-vous de l’Algérie ! Bien qu’ayant une armée puissante, combien d’années a-t-il fallu à Alger pour venir à bout du terrorisme ?

    Pour déplorer l’obstination de certains Africains à refuser d’aborder frontalement les problèmes, notre ami Sidy Diallo aimait s’exclamer ainsi : « Ah ! la vie des Noirs ! » De manière plus explicite, Aimé Césaire, lui, déplorait l’habileté de certains à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’ils leur apportent.

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  • Piller l'État
    2022/06/11

    On n'imagine pas à quel point un Etat peut être vulnérable, lorsqu'un homme politique se laisse « acheter » par des hommes d'affaires véreux, sachant flairer le politicien avec un potentiel, et même des chances d'accéder à la magistrature suprême ! Un homme (ou une femme) qui, une fois aux affaires, leur renverra l'ascenseur, les laissant piller, pourquoi pas, les entreprises d'État, l'État… Un peu comme les Gupta, en Afrique du Sud, sous Jacob Zuma.

    L’Afrique du Sud semble perplexe, face à la coïncidence entre l’arrestation, en début de semaine à Dubaï, de deux frères Gupta impliqués dans le pillage de l’Etat sous Jacob Zuma, et la suspension de la Médiatrice de la République, en charge de la lutte contre la corruption, par le président Ramaphosa, qu’elle poursuit. Comment expliquer que les mandats de tous les successeurs de Mandela soient entachés par de tels scandales ?

    Mandela avait voulu, à la fin de l’apartheid, l’émergence d’une élite économique noire. Des fortunes ont alors vu le jour, qui s’apparentent aux oligarques, en Russie. Madiba demandait implicitement aux leaders de l’ANC de choisir entre faire partie de la direction politique du pays et s’enrichir. Syndicaliste avisé, Ramaphosa avait alors préféré aller faire fortune, et n’est revenu à la vie politique active que plus tard. Zuma, lui, voulait et le pouvoir et l’argent. C’est ce qui l’a si souvent conduit aux fréquentations peu recommandables, qu’il traîne comme autant de boulets. Pour couvrir ses arrières, il tentera, en vain, de positionner son ex-épouse, pour lui succéder. Puis il a nommé cette médiatrice, qui n’a cessé de le protéger.

    Il faudra, certes, éclaircir l’affaire des cambrioleurs de la ferme de Ramaphosa. Mais, l’affaire Gupta est autrement plus grave. Et, pour être juste, Thabo Mbeki n’était pas corrompu. Il avait juste tenté, maladroitement, d’empêcher Zuma, qu’il considérait comme corrompu, de s’asseoir dans un fauteuil sanctifié par Mandela, et que lui-même avait valablement occupé. C’est ce qui lui a valu d’être contraint à la démission, mais l’histoire lui a largement donné raison, depuis.

    Mandela n’a-t-il pas involontairement introduit le virus de l’avidité dans le pays ?

    Nullement ! Un leader, si éclairé soit-il, ne peut prévoir comment peuvent être perverties dans le futur, les orientations qu’il donne. Au lendemain des indépendances, Félix Houphouët-Boigny aussi avait voulu que l’élite politique qui l’entourait s’enrichisse, pour générer une bourgeoisie nationale, à laquelle il demandait de faire ruisseler vers les communautés dont elle était issue ce qu’elle engrangeait de sa proximité avec le pouvoir. Il n’empêche que, recevant les rapports sur la fortune astronomique d’un patron des Douanes, le « Vieux », avec ce calme qui le caractérisait, s’exclamera : « C’est à moi qu’incombe la faute ! Je l’ai laissé trop longtemps à ce poste ! ».

    Pour sévir contre ces abus scandaleux, le « Vieux » s’appuie alors sur un ingénieur français, directeur des Grands Travaux. Sans être au gouvernement, Antoine Césaréo, dans les années 1980, était redouté des ministres et de tous.

    Mais Césaréo commençait à prendre trop d’importance. Aussi, le jour de la réception des clés de la basilique de Yamoussoukro, dont il supervisait la construction, il est subitement congédié par Houphouët-Boigny. Très vite, le « Vieux » réalise qu’il lui faut quelqu’un d’autre, pour tempérer la gloutonnerie ambiante. Il charge alors un certain Alassane Dramane Ouattara, gouverneur de la BCEAO, de coordonner l’action gouvernementale. Celui-ci avait l’avantage d’être peu connu des Ivoiriens, pour avoir fait ses études à l’étranger, et n’avoir jamais travaillé au pays. Il le nomme finalement Premier ministre. La suite, on la connaît…

    Ce que l’on voit aujourd’hui sur le continent n’est-il donc que la suite de ce qui prévalait sous Houphouët-Boigny ?

    On dira : la finesse, en moins. Aujourd’hui, tout commerçant véreux, qui a su miser sur un homme politique plus ou moins vulnérable, qu’il finance durant son parcours ou dans sa conquête du pouvoir, se sent le droit de s’engraisser sur le dos du peuple, une fois son « poulain » aux affaires. Margoulins, hommes de paille et autres Gupta surgissent alors, pour non seulement s’enrichir, mais aussi piller l’Etat et peser sur ses décisions majeures. Souvent, avec la complicité de quelques hauts fonctionnaires cupides.

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  • Adieu, Mali !
    2022/02/19

    Vigoureusement défiée dans ce qui était autrefois son pré-carré en Afrique, la France doit aussi composer avec le désamour de plus en plus grand d'une partie de l'opinion. Si Paris veut éviter une perte irréversible d'influence dans ses anciennes colonies, il lui faudra gérer avec doigté la fronde actuelle.

    Au chronogramme annoncé par Paris pour le retrait de ses troupes du Mali, la junte de Bamako répond par une injonction à vider les lieux immédiatement, la junte se promettant de superviser l’état des lieux. Ce à quoi Emmanuel Macron rétorque que ce départ se fera en bon ordre, dans le respect de la sécurité des militaires. Pourquoi donc cette rupture ne peut-elle se faire dans le calme, en bonne intelligence ?

    Sans doute parce que ces accrochages verbaux entre les deux capitales sont devenus un fonds de commerce qui sert sûrement la popularité de quelques-uns. Ce retrait était annoncé, attendu. Et l’on aurait cru que ceux qui parlent au nom de la junte se contenteraient d’un tonitruant : « bon débarras ! ». Mais, ç’aurait été trop simple. Le communiqué de la junte laisse la désagréable impression qu’il faut à tout prix désigner un coupable, qui aurait violé ses engagements. Comme pour instaurer une tension supplémentaire, susceptible de dégénérer à la moindre petite étincelle. Cela devient épuisant de voir ceux qui ont un Etat à diriger, et des devoirs vis-à-vis de leurs peuples, regarder le doigt, pendant que le sage montre la lune.

    En politique, la popularité auprès de son peuple est toujours plus saine et plus durable, lorsqu’elle se fonde sur l’adhésion à une vision, incarnée par un leader, plutôt que sur la détestation d’un ennemi extérieur opportunément trouvé.

    Les Français, mal-aimés, veulent partir. Cela ne peut-il pas se comprendre ?

    Justement ! Laissez-les s’en aller, et occupez-vous de votre peuple ! A quoi servent des injonctions adressées à quelqu’un qui vous ignore, et qui fera comme il a prévu, en évitant de faciliter la tâche à vos véritables ennemis, les djihadistes ? Les dirigeants maliens peuvent donc oublier un peu les Français, pour montrer à leur peuple en détresse, qu’ils ont mieux à lui offrir que des slogans et des communiqués enflammés. Ce serait un cuisant échec, pour cette junte, de transformer le peuple malien en paria des nations ouest-africaines.

    Echec, vous l’avez dit. Tout le monde parle d’échec…

    Et chacun se plaît à l’accoler à la partie adverse, puisqu’il faut bien parler d’adversité. C’est un immense échec, dont chaque partie devrait prendre sa part, d’autant que les conséquences sont devant nous, et pas derrière. La France, défiée dans son pré-carré, y laisse une part de son prestige, car cette histoire est l’illustration de ce que Dominique de Villepin, dans une de ses fulgurances, a, ces derniers temps, qualifié de « désinfluence ».

    De fait, dans la plupart des ex-colonies françaises d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale, les banques françaises qui tenaient le haut du pavé sont à la traîne, lorsqu’elles n’ont pas tout simplement disparu. Les milieux d’affaires, dans ces pays, vont s’équiper, s’approvisionner en Chine, en Turquie, à Dubaï, et presque plus à Paris. Le cœur n’y est plus. Ils vont même, pour se soigner, en Turquie, ou en Tunisie.

    La France perd pied dans cette Afrique qui lui a longtemps permis de tenir son rang dans le monde. S’il est exagéré de parler de sentiment anti-français, laisser croire que l’opinion africaine, aujourd’hui, déborde d’amour pour la France peut difficilement s’entendre. La France a vécu avec l’Afrique des relations monopolistiques. En économie comme en amour, les monopoles, à force de durer, finissent par créer un confort de peu d’effort chez celui qui en bénéficie, et une forme plus ou moins ouverte de défiance, chez celui qui les subit. Voilà pourquoi toutes les tentatives d’Emmanuel Macron pour conquérir les nouvelles générations se heurtent si souvent au plafond de verre qu’est le passif accumulé, et dont quelques survivances viennent encore, de temps à autre, polluer toute avancée.

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  • Un peuple réellement heureux !
    2022/02/12

    Avec la victoire des « Lions » à la Coupe d’Afrique des nations, le Sénégal a pu montrer à une Afrique de l'Ouest quelque peu désemparée, à quoi peut ressembler une nation unie et rayonnante de bonheur.

    Pour célébrer les Lions, de retour du Cameroun avec le premier trophée continental de l’histoire de leur football, les Sénégalais sont sortis, par millions, en début de semaine, offrant un impressionnant spectacle de liesse populaire et de concorde. Comment expliquer une telle mobilisation, une telle ferveur autour des Lions et pour le football ?

    On ne s’imagine pas à quel point cela fait du bien, à tous les peuples africains, de voir, sur ce continent si souvent consigné au pied du mur des lamentations, une nation simplement heureuse. Un bonheur palpable, communicatif, et d’autant plus plaisant à contempler qu’il ne pouvait être feint. Et l’on a presque envie d’aller questionner les plus anciens, pour trancher si ce jour déclasse, ou pas, celui de la proclamation de l’indépendance.

    Par millions, ils sont sortis accueillir les Lions, leurs héros, fiers d’être le ciment d’une cohésion nationale parfois chahutée, ces derniers temps. Mais, même si ce n’était que le temps d’une célébration, cette cohésion était belle à voir, trop belle pour ne pas être applaudie. Seul le football pouvait valoir au peuple sénégalais un tel retour à l’essentiel. D’autant plus que le football aussi est essentiel, dans la vie de nombreuses nations africaines.

    Le sport-roi, soit ! Mais en quoi serait-ce essentiel ?

    Parce qu’il contribue à la bonne santé de la jeunesse qui le pratique, souvent avec des infrastructures rudimentaires. Il suffit parfois de deux morceaux de pierre, pour matérialiser les buts, et un ballon de fortune peut suffire. Mais le football est aussi une industrie, qui tient sa part dans l’économie nationale. C’est enfin une réalité sociale, qui enchante les rêves des jeunes, qui n’ont parfois aucune autre issue, pour réussir dans la vie. D’ici dix à quinze ans, vous verrez éclore au Sénégal, de jeunes footballeurs de talent, qui se seront engagés dans la pépinière de ce sport, immédiatement dans les jours, les semaines ou les mois qui suivent l’accueil grandiose que vient de réserver le peuple à ses héros. C’est aussi ainsi, dans une saine émulation dans l’excellence, que se construit l’avenir d’une nation.

    Enfin, l’équipe nationale. Elle est le creuset dans lequel se fondent facilement les différences insurmontables. Elle recueille les meilleurs, sans que n’interviennent les considérations régionales, ethniques et autres, qui polluent tant le reste la vie d’une nation. Lorsque vous êtes vraiment bon sur le terrain, le public le sait et aucun arrangement d’arrière-salle ne pourra vous priver de votre poste de titulaire. Si seulement chacun, dans la société, s’appliquait, comme au football, à être le meilleur à son poste, le plus compétent dans son domaine, sûrement que les nations africaines avanceraient mieux et plus vite.

    Vous conviendrez que l’encadrement aussi est essentiel dans l’épanouissement et les résultats d’une sélection nationale…

    Vous avez parfaitement compris. Macky Sall, le chef de l’État sénégalais, aussi, qui a donné aux Lions les moyens de se présenter à la Can sans ce complexe de l’indigence, si caractéristique de nombreuses et même grandes équipes africaines. Parfois ce sont des dirigeants indignes qui, en ponctionnant les dotations de l’équipe et les primes des joueurs, discréditent le drapeau national, avant même que ne débute la compétition.

    Dans leur campagne victorieuse, les Lions ont échappé à tous ces écueils. Le reste résulte de la patience d’un Etat qui a su faire confiance, dans la durée, à un de ses fils. Une nouvelle preuve que les pays qui avancent, sur ce continent, sont, de plus en plus, ceux où la nation sait faire confiance à ses propres citoyens, et traite l’expertise nationale avec les mêmes égards que ce qu’elle accorde aux expatriés.

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  • Burkina: en attendant les miracles…
    2022/01/29

    De la Haute-Volta au Burkina, ce pays, en soixante-et-un ans d'indépendance, a été dirigé par les militaires pendant… quarante-sept ans ! Avec les résultats mitigés que tous déplorent. Et qui semblent laisser de marbre ceux des Burkinabè qui n'en finissent pas de chanter les louanges des militaires qui ont renversé, le 24 janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré.

    Suspendre le Burkina des instances de la Cédéao semble être une décision plutôt modérée, généralement interprétée comme le signe d’une volonté de conciliation, qui tient compte de l’accueil quelque peu enthousiaste des populations à l’égard des putschistes. Faut-il s’attendre à ce que ces concessions à l’opinion valent aux chefs d’État ouest-africains un peu d’indulgence de la part de leurs peuples ?

    Si les coups d’État sont contraires aux bonnes mœurs démocratiques – et ils le sont – alors, il ne faut pas les accepter, même du bout des lèvres. Le Nigeria a déjà eu à faire échec à un coup d’État en Sierra Leone, et le Sénégal, en Gambie. Et l’on attend de savoir de quelle expertise se prévalent les militaires pour s’estimer plus qualifiés, pour diriger leur pays, que les médecins, les enseignants et tant d’autres professions utiles. Les putschistes justifient leur coup par ce qu’ils considèrent comme des défaillances de leadership d’un chef d’État élu. À ce prix, nombre de chefs d’État, de par le monde, perdraient le pouvoir au bout de deux ans. Aux États-Unis, en France, au Japon...

    La meilleure façon de priver les putschistes de leurs alibis est d’éviter de tricher avec la Constitution et les institutions, qui devraient suffire à indiquer à chacun les limites de son pouvoir. À condition, évidemment, que les hommes qui incarnent ces institutions n’aient pas cette fâcheuse tendance, africaine, à la révérence vis-à-vis de tout président en place. Sur le continent, curieusement, jamais l’on ne parle de coup d’État là où les contre-pouvoirs fonctionnent bien, et ne sont pas réduits à une certaine servilité.

    Regardez donc comment, en Grande-Bretagne, pour une faute qui passerait pour un péché véniel dans bien des pays africains, le Premier ministre Boris Johnson est en train d’être contraint à la démission par les institutions ! À part la destitution, en 1996, du professeur Albert Zafy, à Madagascar, le chef d’État, dès lors qu’il est élu, devient, dans la plupart des pays, d’autant plus intouchable que les institutions s’aplatissent devant lui, sans même qu’il ait à stimuler leur zèle. La meilleure protection contre les coups d’État reste la force des institutions, surtout celles qui gênent parfois.

    Les arguments qu’avancent les militaires seraient donc fondés ?

    D’un pays à l’autre, le discours des putschistes reste quelque peu stéréotypé. Peut-être les problèmes sont-ils les mêmes. Le métier du militaire est de défendre la patrie, lorsqu’elle est en danger. Ils se plaignent de ne pas disposer de suffisamment de moyens. Dans l’armée américaine aussi, on se plaint de l’insuffisance des moyens. Les médecins, les enseignants aussi se plaignent de manquer de moyens. Et pourtant, ils soignent, guérissent, dispensent le savoir, sans réclamer que le chef de l’État leur remette sa démission.

    Sauf que les militaires ont les armes !…

    Nous y voilà ! C’est leur outil de travail, qu’ils jugent insuffisant, pour vaincre l’ennemi, mais si efficace, pour déloger un chef d’État du pouvoir. La plupart des peuples ont déjà donné ! En une soixantaine d’années d’indépendance, nombre de pays africains ont été dirigés, en moyenne, plus de trente ans par les militaires, sans apporter, partout, la prospérité, la liberté, la démocratie, ou simplement la protection aux populations. Le Burkina, en soixante-et-un ans d’indépendance, a été sous le joug des militaires pendant au moins quarante-sept ans ! Depuis 1960, en dehors des intérimaires, il a connu cinq présidents militaires, contre… deux civils !

    Il ne faut pas que les condamnations venues de l’extérieur deviennent une diversion, pour oublier de se concentrer sur le génie par lequel les militaires, si loin du front, entendent faire merveille, au palais présidentiel. C’est si facile de s’emparer du pouvoir, avant de commencer à réfléchir, ou d'improviser sur ce que l’on entend en faire.

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  • IBK: la fine fleur des démocrates cultivés
    2022/01/22

    IBK aurait fait un excellent président au Cap-Vert ou au Botswana. Comprenez que les mœurs politiques, dans son pays, correspondent peu aux qualités que tous lui reconnaissent, à présent qu'il a tiré sa révérence.

    En août 2020, les Maliens étaient dans la rue, pour demander sa démission, et finiront par l’obtenir. Dix-huit mois plus tard, les voilà qui rivalisent de superlatifs dithyrambiques, pour vanter sa stature d’homme d’Etat et saluer sa mémoire. Ces hommages élogieux sont-ils crédibles ? Ou bien faut-il mettre ces revirements sur le simple fait que Ibrahim Boubacar Keïta n’est plus ?

    Ces hommages se fondent sur des faits bien trop précis et suffisamment concrets, pour que l’on ne puisse pas mettre en doute leur sincérité. Ils sont crédibles, et ces qualités, IBK les avait, avant, pendant et après le coup d’Etat. Les récriminations de ses concitoyens qui manifestaient pour le chasser du pouvoir se rapportaient à des faits souvent imputables à d’autres que lui. Sa véritable faiblesse était sa bonté. Il se séparait des corrompus, mais un peu tard et sans les punir. Le pire est que nombre d’auteurs des indélicatesses reprochées à sa gestion sont allés grossir ensuite les rangs du mouvement qui a travaillé à sa chute.

    Dans l’édition spéciale consacrée, lundi, au défunt président, Clément Dembélé a parlé de « corruption à ciel ouvert », sous IBK. Sauf que tous les témoignages concordent sur le fait qu’il n’était pas du tout attaché aux choses matérielles. Par contre, le Dr Ibrahima Traoré, qui fût son directeur de cabinet, a révélé, dans l’entretien accordé, hier matin, à Christophe Boisbouvier, sur RFI, qu’il faisait tellement confiance aux collaborateurs qu’il ne voulait pas croire, lorsque l’on attirait son attention sur leurs indélicatesses. « Il pensait, a dit le docteur Ibrahima Traoré, que tout le monde était forgé à son image ».

    Pourquoi, alors, ces soupçons de corruption, qui ont tant altéré son image d’homme d’Etat ?

    Parce que « l’homme bon » n’a pas su réprimer les corrompus. Peut-être aurait-il donné l’impression de combattre la corruption, à défaut de l’éradiquer, s’il avait seulement sévi, de temps à autre.

    A la faveur du double coup d’Etat, certains de ces kleptomanes se sont recyclés et gouvernent à visage plus ou moins découvert, dans la transition actuelle. Il fallait suivre le regard de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, lorsque, dans l’édition spéciale, il a affirmé que la question de la corruption est un serpent de mer, qui remonte à l’indépendance, et que, même sous la transition actuelle, l’on en parle, sans vraiment lutter contre…

    Mahamadou Issoufou, l’ancien président du Niger, lui, a insisté sur le fait que IBK était un homme cultivé

    Oui ! Et cela fait du bien, en Afrique, de voir un homme cultivé à la tête d’un Etat. Parce qu’il y a des choses qu’un homme cultivé ne fait pas. Dans l’édition spéciale, un des intervenants, qui reconnaît avoir participé à sa chute, a témoigné que jamais IBK n’avait fait interdire leurs manifestations, ni leurs interventions à la radio ou à la télévision.

    Le docteur Ibrahima Traoré, qui le décrit comme « un homme bon, honnête, patriote, républicain, qui aimait le genre humain », a révélé que IBK était abattu, lorsqu’on lui a rapporté que des personnes avaient été tuées, lors d’une des dernières manifestations, peu avant sa chute. Aussi, lorsque la dégradation de la situation s’est accélérée, le démocrate cultivé n’a simplement plus voulu du pouvoir. Il aurait accepté sa chute, en exprimant le vœu que cela apporte la paix au Mali…

    Un confrère qui le connaissait bien dit que IBK aurait fait un excellent président au Cap Vert ou au Botswana. Mais, comme dirait le chansonnier, même la fine fleur des démocrates cultivés ne peut, hélas ! choisir son pays, ou sa famille.

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