Une plongée dans une Russie différente, une Russie d'opposants à la guerre et au régime de Vladimir Poutine et qui se battent souvent en silence et dans la solitude : c'est ce que nous propose l'écrivain russe en exil Filipp Dzyadko, petit-fils et fils de dissidents. Dans son livre Radio Vladimir (éditions Stock), il raconte les actes de résistance de ceux qui, aujourd'hui comme hier, osent s'opposer. Filipp Dzyadko est interrogé par Anastasia Becchio. RFI : Le titre de votre livre fait référence à une radio, une radio pirate d'un homme, Vladimir Roumiantsev, qui a décidé de créer sa propre radio. Vous avez entretenu une correspondance avec lui, lorsqu'il s'est retrouvé en prison.Filipp Dzyatko : Oui, c'est un homme étonnant. Il a plus de 60 ans. Il vivait seul dans la ville de Vologda. C'est une petite ville de province, située à 500 kilomètres de Moscou. Vladimir a travaillé toute sa vie dans des usines, il était ouvrier de chaufferie. Et il était lui-même issu d'une famille ouvrière. Son père a travaillé à l'usine pendant 50 ans. Il a commencé à travailler sous Staline et a terminé sa carrière sous Poutine. C'est donc un homme du peuple, un homme de la classe laborieuse.Un jour, cet homme décide qu'il n'est pas d'accord avec ce qui se passe autour de lui. Toute sa vie, il a été amoureux de la radio. Lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, il a décidé qu'il ne voulait plus écouter la propagande de l'État qui était diffusée sur les ondes, et il a tout éteint dans son appartement. Et comme il le raconte, le silence s'est alors installé. Il fallait bien remplir ce vide et il a donc commandé différents composants sur internet et il a construit sa propre station de radio, dont le rayon de diffusion se cantonnait à son appartement et à plusieurs appartements voisins.Et malgré le fait que sa radio pirate était vraiment confidentielle, il a été arrêté à l'été 2022 et incarcéré. Dans votre livre, vous parlez de ces personnes, anonymes pour la plupart, qui continuent de s'opposer au régime, à la guerre. Mais dans un environnement de plus en plus répressif, comment exprimer son désaccord sans risquer de finir en prison ?C'est très dangereux, et peu de gens réalisent à quel point c'est dangereux. Dans mon livre, je parle de cette société secrète, parce que ces gens ne se connaissent pas les uns les autres. Il y a des personnes connues, comme Alexei Navalny. Cela fait plus d'un an qu'il n'est plus avec nous. Il y a aussi l'élu municipal d'opposition Alexei Gorinov, qui est un véritable héros et qui est la première personne à avoir été condamnée pour avoir dénoncé la guerre. Il est torturé en prison. Nous devons faire pression pour qu'il soit libéré. Plusieurs milliers d'autres personnes sont persécutées pour leurs opinions anti-guerre.Mais il y a aussi tous ceux qui sont impliqués dans une résistance discrète. Nous ne connaissons pas leur nombre. D'une manière générale, la Russie est, aujourd'hui, à bien des égards, une boîte noire. Ce que disent les autorités, en citant les chiffres du soutien à la guerre, est certainement un mensonge. Et nous ne savons pas vraiment ce que pense la société russe. Mais nous avons divers témoignages d'actes de résistance. C'est parfois une résistance ouverte, comme dans le cas des célèbres prisonniers politiques, mais parfois, elle est peu visible. Mais elle existe.Il y a aussi toutes ces lettres, ces milliers de lettres de soutien que reçoivent ces prisonniers politiques.Oui, écrire aux prisonniers politiques, c'est l'un des moyens de soutenir et de prendre part à cette société secrète. On peut leur écrire des courriers électroniques par l'intermédiaire du système pénitentiaire. Les prisonniers politiques racontent que c'est un soutien incroyable pour eux. Et à leur tour, ils soutiennent ceux qui sont à l'extérieur. C'est d'ailleurs un paradoxe frappant : les prisonniers politiques sont souvent beaucoup plus optimistes que les personnes qui sont à l'extérieur et qui sont déprimées du fait de cette guerre. En quelque sorte, les prisonniers politiques soutiennent ceux qui sont à l'extérieur.Vous avez quitté la Russie dès mars 2022, juste après le début de l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine. Vous vivez à Berlin. Comment vous sentez vous aujourd'hui ? Les deux premières années après mon départ de Russie, j'avais le sentiment que je n'avais pas le droit d'avoir des états d'âme et que je ne devais pas penser à moi. Une guerre terrible est en cours, en Russie. On enferme des prisonniers politiques derrière des barreaux, et moi, je vais penser à ma tranquillité d'esprit. C'est inconvenant. Mais ensuite, j'ai mûri et j'ai compris que pour pouvoir faire quelque chose pour les autres, il faut aussi s'occuper de soi. C'est un peu comme dans un avion : on doit d'abord mettre le masque à oxygène sur soi avant de le mettre à son ...
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