エピソード

  • Les Rayons et les Ombres / 1. Fonction du poète (Victor Hugo)
    2024/06/14
    Pourquoi t'exiler, ô poète, Dans la foule où nous te voyons ? Que sont pour ton âme inquiète Les partis, chaos sans rayons ? Dans leur atmosphère souillée Meurt ta poésie effeuillée ; Leur souffle égare ton encens. Ton cœur, dans leurs luttes serviles, Est comme ces gazons des villes Rongés par les pieds des passants. Dans les brumeuses capitales N’entends-tu pas avec effroi, Comme deux puissances fatales, Se heurter le peuple et le roi ? De ces haines que tout réveille À quoi bon emplir ton oreille, Ô Poète, ô maître, ô semeur ? Tout entier au Dieu que tu nommes, Ne te mêle pas à ces hommes Qui vivent dans une rumeur ! Va résonner, âme épurée, Dans le pacifique concert ! Va t'épanouir, fleur sacrée, Sous les larges cieux du désert ! Ô rêveur, cherche les retraites, Les abris, les grottes discrètes, Et l'oubli pour trouver l'amour, Et le silence, afin d'entendre La voix d'en haut, sévère et tendre, Et l'ombre, afin de voir le jour ! Va dans les bois ! va sur les plages ! Compose tes chants inspirés Avec la chanson des feuillages Et l'hymne des flots azurés ! Dieu t'attend dans les solitudes ; Dieu n'est pas dans les multitudes ; L'homme est petit, ingrat et vain. Dans les champs tout vibre et soupire. La nature est la grande lyre, Le poète est l'archet divin ! Sors de nos tempêtes, ô sage ! Que pour toi l'empire en travail, Qui fait son périlleux passage Sans boussole et sans gouvernail, Soit comme un vaisseau qu'en décembre Le pêcheur, du fond de sa chambre Où pendent les filets séchés, Entend la nuit passer dans l'ombre Avec un bruit sinistre et sombre De mâts frissonnants et penchés ! Hélas ! hélas ! dit le poète, J'ai l'amour des eaux et des bois ; Ma meilleure pensée est faite De ce que murmure leur voix. La création est sans haine. Là, point d'obstacle et point de chaîne. Les prés, les monts, sont bienfaisants ; Les soleils m'expliquent les roses ; Dans la sérénité des choses Mon âme rayonne en tous sens. Je vous aime, ô sainte nature ! Je voudrais m'absorber en vous ; Mais, dans ce siècle d'aventure, Chacun, hélas ! se doit à tous. Toute pensée est une force. Dieu fit la sève pour l'écorce, Pour l'oiseau les rameaux fleuris, Le ruisseau pour l'herbe des plaines, Pour les bouches, les coupes pleines, Et le penseur pour les esprits ! Dieu le veut, dans les temps contraires, Chacun travaille et chacun sert. Malheur à qui dit à ses frères : Je retourne dans le désert ! Malheur à qui prend des sandales Quand les haines et les scandales Tourmentent le peuple agité ; Honte au penseur qui se mutile, Et s'en va, chanteur inutile, Par la porte de la cité ! Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs. Il est l'homme des utopies ; Les pieds ici, les yeux ailleurs. C'est lui qui sur toutes les têtes, En tout temps, pareil aux prophètes, Dans sa main, où tout peut tenir, Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue, Comme une torche qu'il secoue, Faire flamboyer l’avenir ! Il voit, quand les peuples végètent ! Ses rêves, toujours pleins d'amour, Sont faits des ombres que lui jettent Les choses qui seront un jour. On le raille. Qu’importe ? il pense. Plus d’une âme inscrite en silence Ce que la foule n'entend pas. Il plaint ses contempteurs frivoles ; Et maint faux sage à ses paroles Rit tout haut et songe tout bas ! Foule qui répand sur nos rêves Le doute et l'ironie à flots, Comme l'océan sur les grèves Répand son râle et ses sanglots, L'idée auguste qui t'égaie À cette heure encore bégaie ; Mais de la vie elle a le sceau ! Ève contient la race humaine, Un œuf l'aiglon, un gland le chêne ! Une utopie est un berceau ! De ce berceau, quand viendra l'heure, Vous verrez sortir, éblouis, Une société meilleure Pour des cœurs mieux épanouis, Le devoir que le droit enfante, L'ordre saint, la foi triomphante, Et les mœurs, ce groupe mouvant Qui toujours, joyeux ou morose, Sur ses pas sème quelque chose Que la loi récolte en rêvant ! Mais, pour couver ces puissants germes, Il faut tous les cœurs inspirés, Tous les cœurs purs, tous les cœurs fermes, De rayons divins pénétrés. Sans matelots la nef chavire ; Et, comme aux deux flancs d'un navire, Il faut que Dieu, de tous compris, Pour fendre la foule insensée, Aux deux côtés de sa pensée Fasse ramer de grands esprits ! Loin de vous, saintes théories, Codes promis à l'avenir, Ce rhéteur aux lèvres flétries, Sans espoir et sans souvenir, Qui jadis suivait votre étoile, Mais qui, depuis, jetant le voile Où s'abrite l'illusion, A laissé violer son âme Par tout ce qu'ont de plus infâme L'avarice et l’ambition ! Géant d'orgueil à l'âme naine, Dissipateur du vrai trésor, Qui, repu de science humaine, A voulu se repaître d'or, Et, portant des valets au maître Son faux sourire d'ancien prêtre Qui vendit sa divinité, S'enivre, à l'heure où d'autres pensent, Dans cette orgie impure où ...
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    14 分
  • Voyelles (Arthur Rimbaud)
    2024/06/11

    A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
    Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
    A, noir corset velu des mouches éclatantes
    Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

    Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
    Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
    I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
    Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

    U, cycles, vibrements divins des mers virides,
    Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
    Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

    O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
    Silences traversés des Mondes et des Anges :
    — O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

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    1 分
  • Par ce mouvant océan la foule (Walt Whitman)
    2024/06/11

    Par ce mouvant océan la foule une petite goutte a plu sur moi

    Qui m’a chuchoté Je t’aime et bientôt je mourrai.

    J’ai accompli ce long voyage pour te voir simplement, te toucher, tant j’avais crainte de mourir sans te connaître, tant j’avais crainte de te perdre dans l’au-delà.

    Nous nous sommes vus, nous nous sommes reconnus, nous ne craignons plus rien,

    Repars en paix vers mon amour l’océan, j’en fais part moi aussi, rien vraiment ne nous sépare,

    Vois l’immense courbure, la ronde cohésion du monde si parfaite !

    Toi et moi cependant, l’irrésistible mer nous séparera, qui nous a fait singuliers une brève heure mais dans l’éternité ne nous distinguera pas ;

    Pas d’impatience ! Doucement !

    Sache que je saluerai l’air, la terre et l’océan pour toi mon amour, tous les soirs au coucher du soleil.

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    1 分
  • A la musique (Arthur Rimbaud)
    2024/06/11

    Place de la Gare, à Charleville.

    Sur la place taillée en mesquines pelouses,
    Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
    Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
    Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

    – L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
    Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
    Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
    Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

    Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
    Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames
    Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
    Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

    Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
    Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
    Fort sérieusement discutent les traités,
    Puis prisent en argent, et reprennent : » En somme !… »

    Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
    Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
    Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
    Déborde – vous savez, c’est de la contrebande ; –

    Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
    Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
    Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
    Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…

    – Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
    Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
    Elles le savent bien ; et tournent en riant,
    Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

    Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
    La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
    Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
    Le dos divin après la courbe des épaules.

    J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
    – Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
    Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
    – Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

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    3 分
  • L’Empreinte (Anna de Noailles)
    2024/06/08

    Je m’appuierai si bien et si fort à la vie,
    D’une si rude étreinte et d’un tel serrement
    Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie
    Elle s’échauffera de mon enlacement.

    La mer, abondamment sur le monde étalée,
    Gardera dans la route errante de son eau
    Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
    Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.

    Je laisserai de moi dans le pli des collines
    La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir
    Et la cigale assise aux branches de l’épine
    Fera crier le cri strident de mon désir.

    Dans les champs printaniers la verdure nouvelle
    Et le gazon touffu sur les bords des fossés
    Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
    Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.

    La nature qui fut ma joie et mon domaine
    Respirera dans l’air ma persistante odeur
    Et sur l’abattement de la tristesse humaine
    Je laisserai la forme unique de mon cœur.

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    2 分
  • Le ballet des heures (Gérard de Nerval)
    2024/06/08

    Les heures sont des fleurs l’une après l’autre écloses
    Dans l’éternel hymen de la nuit et du jour ;
    Il faut donc les cueillir comme on cueille les roses
    Et ne les donner qu’à l’amour.

    Ainsi que de l’éclair, rien ne reste de l’heure,
    Qu’au néant destructeur le temps vient de donner ;
    Dans son rapide vol embrassez la meilleure,
    Toujours celle qui va sonner.

    Et retenez-la bien au gré de votre envie,
    Comme le seul instant que votre âme rêva ;
    Comme si le bonheur de la plus longue vie
    Était dans l’heure qui s’en va.

    Vous trouverez toujours, depuis l’heure première
    Jusqu’à l’heure de nuit qui parle douze fois,
    Les vignes, sur les monts, inondés de lumière,
    Les myrtes à l’ombre des bois.

    Aimez, buvez, le reste est plein de choses vaines ;
    Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé,
    Rajeunit l’autre sang qui vieillit dans vos veines
    Et donne l’oubli du passé.

    Que l’heure de l’amour d’une autre soit suivie,
    Savourez le regard qui vient de la beauté ;
    Être seul, c’est la mort ! Être deux, c’est la vie !
    L’amour c’est l’immortalité !

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    2 分
  • Chanson gothique (Gérard de Nerval)
    2024/04/23

    Belle épousée,
    J’aime tes pleurs !
    C’est la rosée
    Qui sied aux fleurs.

    Les belles choses
    N’ont qu’un printemps,
    Semons de roses
    Les pas du Temps !

    Soit brune ou blonde
    Faut-il choisir ?
    Le Dieu du monde,
    C’est le Plaisir.

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    1 分
  • Mignonne, allons voir si la rose (Pierre de Ronsard. Les Odes)
    2024/04/23

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avait déclose
    Sa robe de pourpre au Soleil,
    A point perdu cette vêprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vôtre pareil.

    Las ! voyez comme en peu d'espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las ! las ses beautés laissé choir !
    Ô vraiment marâtre Nature,
    Puis qu'une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez, mignonne,
    Tandis que votre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez, cueillez votre jeunesse :
    Comme à ceste fleur la vieillesse
    Fera ternir votre beauté.

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    1 分