L'année 2025 marque les dix ans de l’accord de Paris, mais un autre anniversaire, presque aussi déterminant pour la lutte contre le réchauffement, passe plus discrètement : celui de la première grande victoire de la justice climatique. En 2015, aux Pays-Bas, l’ONG Urgenda obtenait d’un tribunal une décision inédite : obliger un État à rehausser son ambition climatique. Éclairage.
Dix ans après cette décision prise par la cour de la Haye, aux Pays-Bas, c'est une véritable architecture juridique internationale. Des juges en Allemagne, en Colombie, en France ou en Corée du Sud, mais aussi des juridictions régionales comme la Cour européenne et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, jusqu’à la Cour internationale de Justice, appuient désormais la même idées : les États ont l’obligation légale de protéger leurs populations contre les impacts du changement climatique. Cette obligation implique qu’ils se fixent des objectifs cohérents avec la science, qu’ils prennent des mesures réelles pour les atteindre et qu’ils répondent de leurs manquements. Dix ans après l’affaire Urgenda, ces décisions ont façonné une sorte de « droit global du climat » construite affaire après affaire.
Ces décisions produisent en effet des résultats très concrets : en Allemagne, la Cour constitutionnelle a jugé que les politiques climatiques prévues ne suffisaient pas à protéger les générations futures, ce qui a conduit le gouvernement à réécrire son plan climat et à renforcer les mesures dans les secteurs du transport et du bâtiment. Au Brésil, une décision de la Cour suprême a forcé l’exécutif à réactiver le Fonds climat, resté inopérant pendant plusieurs années et à y consacrer de nouvelles ressources. Aux Pays-Bas, le gouvernement, sommé de respecter les objectifs imposés par l’affaire Urgenda, a accéléré la fermeture des centrales à charbon. Et dans plusieurs pays comme l’Australie ou le Royaume-Uni, des tribunaux ont suspendu ou annulé des projets d’exploitation fossile après avoir jugé leurs impacts climatiques incompatibles avec les engagements internationaux.
Des conséquences pour les investissements privés La justice climatique ne concerne toutefois plus seulement les États, mais également le secteur privé. De plus en plus de communautés affectées par le réchauffement climatique tentent d’engager la responsabilité de grands groupes émetteurs. Selon Sarah Mead, codirectrice du Climate Litigation Network, qui vient de publier un rapport sur le sujet : Laying the foundations for our shared future - Climate Litigation Network ONLINE.pdf - Google Drive, « on voit apparaître de nouveaux cas partout dans le monde ».
En Allemagne, des agriculteurs pakistanais ont récemment assigné l’énergéticien RWE, estimant que ses émissions ont contribué aux inondations qui ont dévasté leurs terres. Cette affaire s’inscrit dans la continuité d’un autre dossier emblématique : celui de Saúl Luciano Lliuya, un fermier péruvien qui a obtenu d’un tribunal allemand la reconnaissance du principe selon lequel une entreprise peut être tenue responsable des conséquences ses émissions, même lorsque les dommages surviennent à l’autre bout du monde.
« Ces cas illustrent le fait que de plus en plus de communautés touchées par les conséquences du réchauffement veulent être dédommagées par le siège de grandes entreprises des pays occidentaux. Je pense que ça change la donne », poursuit Sarah Meade. La multiplication de ces litiges judiciaires et la menace de lourds dommages et intérêts à acquitter par les entreprises visées font en effet peser un risque financier non négligeable quant à la poursuite de leurs activités. « La Banque centrale européenne commence à considérer ces affaires comme un risque financier réel pour ces entreprises », ajoute-t-elle.
Plusieurs groupes du secteur des énergies fossiles ont ainsi augmenté leurs provisions pour risques climatiques, sous la pression de ces procédures et de leurs investisseurs. Selon la dernière étude des Nations unies publiée en 2023, le nombre d’affaires judiciaires liées au changement climatique a plus que doublé depuis 2017. Plus de deux mille dossiers sont aujourd’hui ouverts dans le monde. Un chiffre en croissance constante, en particulier depuis cinq ans.