エピソード

  • «Retour au paradis», par Breyten Breytenbach
    2020/08/30
    À la fois écrivain et peintre, Breyten Breytenbach est un homme aux nombreux talents. Né en Afrique du Sud en 1939 et exilé en France depuis 1961, il est l’auteur d’une œuvre protéïforme, partagée entre poésies, romans, essais et journaux de voyage. Retour au paradis qu’il a écrit suite à un voyage en Afrique du Sud, sur le modèle d’Une saison en enfer rimbaldienne, est l’un de ses plus beaux livres, nourri d’inquiétudes sur l’avenir de son pays pourtant libéré du fléau de l’apartheid. Retour au paradis du Sud-Africain Breyten Breytenbach est un « travelogue », racontant les allées et venues de l’auteur entre son pays natal, l’Afrique du Sud, et son pays d'adoption la France dans les années 1980-90. C’est aussi un journal intime, comme le suggère le sous-titre du livre : « Retour au paradis. Journal africain ».Diptyque littéraireRetour au paradis fait partie d’un diptyque littéraire dont le premier volume paru dans les années 1970 a pour titre Une saison au paradis. Placé sous le signe d’Une saison en enfer de Rimbaud, ce premier texte, composé de notes de voyage, de souvenirs d’enfance, de réflexions, de poèmes, avait été inspiré au poète par son retour au pays natal après treize longues années d’exil.Le jeune Breytenbach s’était exilé à Paris dès 1961, fuyant la répression et le racisme institutionnalisé de l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Sa situation personnelle se complique un peu plus lorsqu’il épouse une Française d’origine vietnamienne. Les mariages mixtes étant interdits en Afrique du Sud, il ne pouvait plus retourner dans son pays sans se faire arrêter. En 1973, il réussit toutefois à obtenir un visa de trois mois pour lui et pour son épouse afin de se rendre en Afrique du Sud pour recevoir un prix littéraire. Une saison au paradis est née de ce premier pèlerinage aux sources.Les circonstances de l'écriture du second volume du diptyque sont différentes.Engagé dans la lutte contre l’apartheid, Breytenbach retourna clandestinement en Afrique du Sud en 1975 pour établir des contacts avec la branche armée de l’ANC. Il sera arrêté pour terrorisme et ne sortira de prison qu’en 1982 avant d’être expulsé vers Paris. Autorisé ensuite à de séjours surveillés, il dut attendre le démantèlement du régime pour pouvoir revenir dans son pays en toute liberté. C’est pendant un nouveau voyage qu’il effectua en février 1991 dans une Afrique du Sud libérée du fléau du racisme institutionnalisé que Breytenbach rédigea Retour au paradis. Il s’agit d’un texte hétéroclite, à mi-chemin entre poème en prose et méditations, riche en digressions et magnifiquement écrit, même si la tonalité de l’ensemble est sombre tout comme l’est la vision de l’auteur sur l’avenir de son pays.Paradis retrouvé et perdu de Breytenbach Un sentiment de désenchantement et de désillusion profonde traverse l’ouvrage de part en part. D’une certaine façon, ce livre est le récit de paradis retrouvé et perdu de Breyten Breytenbach. Paradis retrouvé, car avec l’abolition de l’apartheid, puis la libération de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud s’est donné les moyens politiques pour se renouveler. L’on imagine la satisfaction immense que ces événements ont pu procurer au poète, qui était devenu une figure emblématique de la lutte contre l’apartheid. Le pays était bel et bien engagé dans un processus de transition.Pourtant, comment ne pas ressentir en lisant Retour au paradis, construit comme un carnet de route, que la nouvelle Afrique du Sud en train d’émerger des décombres de l’apartheid n’inspire à l’auteur qu’une confiance limitée ? Alors que ses anciens amis s’enthousiasment pour le processus démocratique en cours, l’auteur s’interroge sur l’absence de communication entre Noirs et Blancs, sur le cynisme des politiciens face à la montée de la violence qu’ils ont parfois eux-mêmes orchestrée, que ce soit pour garder le pouvoir ou pour y arriver.Il s’appuie sur les articles de presse pour rappeler les quatre vérités : un pays en proie à une guerre civile larvée, tortures policières, banditisme, hommes et femmes lynchés, lapidés, poignardés. « La violence perce un peu, dans les journaux du pays, comme du sang qui traverse un pansement », écrit Breytenbach, avant de s’interroger : « Qu’est-il arrivé à la révolution ? »« Un oiseau de malheur »Le portrait lourd de désillusions que brosse de son pays renaissant le poète exilé témoigne surtout d’une grande lucidité et d’une compréhension en profondeur des enjeux des mutations en cours en Afrique du Sud post-apartheid.Dans son livre, Breytenbach raconte la dispute qui l’a opposé pendant son séjour sud-africain à l’un de ses plus proches amis qui l’accusa d’être « un oiseau de malheur venu ici pour avoir la satisfaction d’une haute et ...
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  • «Le Fils d'Agatha Moudio», par Francis Bebey
    2020/08/29
    Le Fils d’Agatha Moudio est le premier roman de Francis Bebey, qui a été journaliste, musicologue avant de venir à la littérature. Il était contemporain des premiers grands romanciers du Cameroun tels que Mongo Beti ou Ferdinand Oyono. Évoquant de manière décomplexée l’Afrique sous la colonisation, le roman a connu un grand succès populaire et a été traduit en anglais, allemand et polonais. Le Fils d’Agatha Moudio, c’est le roman d’un conteur et d’un musicien. L’auteur, le Camerounais Francis Bebey, est connu en tant que musicien, musicologue, chanteur, parolier. Tout le monde connaît sa chanson Agatha : « Ne me mens pas… Ce n’est pas mon fils… tu le sais bien… ce n’est pas mon fils, même si c’est le tien… ». C’est d’ailleurs l’argument de son roman Le Fils d’Agatha Moudio, qui raconte l’histoire d’une femme noire, mariée à un homme noir, et qui donne naissance à un enfant… café au lait. Le roman de Francis Bebey évolue autour de ces événements qui se déroulent dans une société traditionnelle africaine.Ce roman a fait la réputation de l’auteur comme romancier, chroniqueur hors pair de la vie africaine. Publié par un éditeur camerounais et pas par un éditeur parisien, Le Fils d’Agatha Moudio a connu un grand succès populaire en Afrique. Réédité plusieurs fois, il a été couronné par le Grand prix littéraire de l’Afrique noire. Francis Bebey a commis d’autres romans, cinq en tout, mais son nom reste associé au Fils d’Agatha Moudio qui est même entré dans le curriculum des écoles de son pays.Raisons du succèsSon succès, ce roman le doit au traitement original de son sujet par l’auteur. Francis Bebey fait partie de la première génération de romanciers africains post-coloniaux. Le roman paraît en 1967, sept ans après l’indépendance du Cameroun survenue le 1er janvier 1960. L’une des missions de cette génération d’écrivains était de renouveler la perspective narrative africaine et de contribuer à l’œuvre de la construction nationale en cours en recentrant le discours narratif sur le pays, sur l’Afrique. C’est ce que fait admirablement Francis Bebey dans ce premier roman en campant son récit dans un village traditionnel de pêcheurs qui s’appelle Bonakwan, situé dans la proche banlieue de Douala, sur les rives du Wouri.L’histoire se déroule pendant la période coloniale, « au carrefour des temps anciens et modernes », comme l’écrit l’auteur, mais la colonisation, les rapports Blancs-Noirs sont marginalisés ou mis en perspective, avec la focalisation du récit portant essentiellement sur la vie intérieure au sein de la société africaine. L’objectif de l’auteur est de raconter la vie au quotidien d’un peuple millénaire qui tente de s’adapter aux mutations de la vie moderne, ainsi qu’aux effets de la colonisation sans sacrifier la vision, la philosophie qui font la cohérence de cette société.Le roman s’ouvre sur une scène de confrontation avec des chasseurs blancs venus chasser des singes dans la forêt attenant au village. Les villageois ne voient pas d’un très bon œil cette intrusion et demandent au chef du village de réclamer aux Blancs un dédommagement financier. Le chef hésite. Comment demander de l’argent à ces gens qui commandent « toi, moi, tous les habitants du village, notre forêt, notre rivière, notre fleuve et tous les animaux et tous les poissons qui y vivent » ? Alors que le chef tarde à transmettre la demande des villageois, Mbenda, un jeune du village, plus courageux et moins complexé que les autres, prend à partie les chasseurs et les oblige à payer leur dû aux villageois. Son intrépidité vaudra à Mbenda, héros-narrateur du récit, une assignation à des travaux collectifs. Ce rapport de force entre dominants et dominés, certes encore fragile, n’aura pas d’impact sur la suite de l’intrigue.Les amours de Mbenda Le récit tourne autour des déceptions amoureuses de Mbanda, le jeune homme qui avait tenu tête aux chasseurs blancs. Mbenda est amoureux de la plus belle fille du village, Agatha Moudio, et il veut l’épouser. Or Agatha n’a pas bonne réputation dans le village : on l’a vue traîner dans le quartier européen. Elle coucherait avec les Blancs, disent les mauvaises langues. La mère de Mbanda ne veut pas d’une belle-fille de mauvaise vie et pousse son fils à épouser sa promise, Fanny. Le jeune homme cède devant les insistances de sa mère, mais sa passion pour Agatha est si forte qu’il ne peut l’oublier. Même marié, il continuera à la fréquenter et finira par l’épouser aussi, la polygamie état tolérée dans sa communauté.Ce mariage aurait pu servir de dénouement au roman, mais une nouvelle crise vient assombrir le bonheur de Mbenda lorsqu’Agatha met au monde un enfant métis. Le récit se clôt sur ce nouveau drame dont la résolution sur un mode totalement ...
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  • «Les Rochers de Poudre d’Or» par Nathacha Appanah
    2020/08/23
    Née à l’île Maurice, Natacha Appanah a travaillé dans l’édition, la publicité et la presse, avant de se lancer dans l’écriture. Considérée aujourd’hui comme l’une des écrivains majeurs de Maurice, la romancière a à son actif neuf livres aux tonalités très différentes. Ses thématiques vont des heurs et malheurs de son île natale aux enfants fugueurs à Mayotte « impatients d’échapper à la gravité de leurs destins », en passant par les dysfonctionnements passionnels au sein des familles en France où l’écrivain vit depuis 1998. Pour nombre d’admirateurs de Natacha Appanah, le nom de cette auteure reste associé à tout jamais à son premier roman Les Rochers du Poudre d’Or (2003), qui raconte avec maîtrise et maestria le parcours plein d’illusions des premiers travailleurs engagés indiens venus chercher fortune dans l’« Eldorado » mauricien.Ce roman a effectivement un fort caractère historique, nourri sans doute d’une documentation précise sur l’histoire de l’île, sa géographie et ses mœurs au début du XIXe siècle lorsque, suite à l’abolition de l’esclavage, les colonisateurs britanniques ont fait venir à Maurice des travailleurs indiens sous contrat pour remplacer les esclaves dans les plantations.Premier roman en français sur l’engagismeLes Rochers de Poudre d’Or est le premier roman mauricien de langue française à traiter du drame des travailleurs indiens engagés. Le mot « engagé » vient de l’« engagisme », le nom par lequel le travail sous contrat est désigné. Natacha Appanah relate dans ce roman avec beaucoup de réalisme comment en promettant monts et merveilles, les agents du gouvernement colonial réussissaient à persuader les Indiens pauvres de s’embarquer pour l’Eldorado mauricien, qui se révèlera un enfer esclavagiste. Il serait toutefois inapproprié de réduire ce roman à sa seule dimension historique car il s’agit ici avant tout d’une œuvre de fiction et d’imagination.Le roman Les Rochers de Poudre d’or est également nourri de légendes et de mythes liés à l’arrivée sur l’île des Indiens, qui constituent aujourd’hui la communauté majoritaire, communauté dont la famille de l’auteur est issue. « J’ai entendu des histoires d’engagés toute mon enfance », se souvient Natacha Appanah qui reconnaît s’être beaucoup inspirée de ces légendes familiales pour écrire son roman.Une des légendes estcelle qui est inscrite dans le titre même de l’ouvrage. Aux dires des spécialistes, les recruteurs murmuraient dans les oreilles des miséreux du fin fond de l’Inde qu’il suffisait de soulever les rochers pour trouver de l’or dans cette île mystérieuse et clémente. Et le tour était joué. Beaucoup ont cru à ces légendes, tout comme les protagonistes du roman de Natacha Appanah.PersonnagesOn suit dans ces pages le parcours de quatre personnages : un exilé volontaire sur les traces de son frère, un « paysan meurtri par la misère et la domination des propriétaires terriens », un candide joueur de cartes et la fascinante Ganga, veuve au sang royal qui a fui le bûcher funéraire de son mari auquel sa religion la condamnait. Alpagués par les affabulations des recruteurs sans scrupules, ils rejoignent d’autres Indiens entassés dans les cales de l’Atlas voguant inexorablement vers leur destin de servitude. Comme ils ne savent pas encore ce qui les attend de l’autre côté de l’océan, les pauvres se mettent à rêver.Ils rêvent « d’un port riche », « des sacs repus de riz, d’épices et de sucre », et des champs de « cannes en fleur bougeant dans le vent pour les saluer ». La réalité se révèlera beaucoup moins romantique, voire cruelle. Dans les plantations de Poudre d’Or, les destinées vont se nouer et les rêves ne tarderont pas à se dissiper. Soumis à la dure loi du contremaître au fouet facile, ces hommes et femmes passeront leur vie à trimer et ne reverront plus jamais leur pays natal. Alors, dans leurs boxes misérables, alignés dos à dos à la lisière des plantations d’où ils aperçoivent par journées claires le bleu de la mer lointaine, les Ganga, les Das, les Chotty, les Badri apprennent à oublier le passé et vivre avec le désespoir.Le roman des originesMalgré sa description plutôt sombre des relations découlant de la domination et de l’esclavage, l’univers de Natacha Appanah n’est pas tout à fait dépourvu d’espoir. Organisé autour de parcours individuels, imbriquant habilement les drames des personnages fictionnels et les étapes mouvementées de l’histoire de l’île Maurice (passage de cette possession française sous souveraineté britannique au XIXe siècle, fin de l’esclavage et arrivée massive des travailleurs indiens qui remplacent les esclaves dans les champs), ce roman ambitieux raconte en fait la naissance de la nation mauricienne. L’auteur descend dans les ...
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  • La Maison de la faim, par Dambudzo Marechera
    2020/08/22
    Né en 1952 et disparu à 35 ans d’une maladie liée au sida, le talentueux romancier zimbabwéen Dambudzo Marechera représente un moment de fulgurance éphémère dans la littérature de langue anglaise. Il a laissé derrière lui cinq ouvrages, dont le plus connu est La Maison de la faim. C’est un recueil de récits iconoclastes, aux accents autobiographiques, avec désespoir pour seul horizon d’attente. La Maison de la faim est un grand roman sur le Zimbabwe, sous la plume de l’un de romanciers africains les plus talentueux de ces dernières décennies. Son auteur, Dambudzo Marechera, né en 1952, était un écrivain rebelle. A mi-chemin entre Lautréamont et Rimbaud, il fut une sorte d’enfant terrible des lettres zimbabwéennes. Auteur de cinq romans d’une grande originalité d’écriture, mort du sida à 35 ans, l’homme a traversé le firmament littéraire comme une météorite.Un roman prophétiqueParu en 1978, La Maison de la faim était le premier roman de Marechera, un roman qui fascine à cause de son écriture puissante et moderniste et son portrait saisissant du Zimbabwe colonial, claustrophobe et oppressant. La situation du pays n’a pas changé après l’indépendance. Au contraire, l’oppression s’est renforcée sous le régime de Robert Mugabe dont la politique autoritaire et sans vision d’avenir a réussi à transformer le Zimbabwe, autrefois le grenier à céréales du continent africain, en littéralement « une Maison de la faim ». Indépendant depuis 1980, ce pays a connu la famine, la dictature et le désespoir. C’est parce que Dambudzo Marechera avait su anticiper ce processus, tout en dénonçant l’oppression coloniale, que son roman est devenu un livre culte dans son pays où il est effectivement considéré comme un ouvrage « prophétique ».Paradoxalement, si la jeune génération zimbabwéenne aspirant à la liberté et la modernité se reconnaît dans la révolte de Marechera contre une société policée et patriarcale, son roman emblématique n’est pas pour autant très lu par ces jeunes. Cela s’explique par l’écriture torturée et fragmentaire de cet auteur, cheminant entre les souvenirs du passé et les événements du présent sans progression chronologique. La Maison de la faim qui met en scène des prostituées, des marginaux, des exclus de la société est représentatif de l’univers de son auteur.Cette radicalité de fond et de forme qui caractérise la narration de Marechera avait entraîné pendant un temps l’interdiction de ses ouvrages dans le Zimbabwe indépendant. La vision anarchiste et nihiliste de cet écrivain rebelle était incompatible avec l’appétit de pouvoir et d’enrichissement de la nouvelle classe dirigeante.Roman ou nouvelle ?La Maison de la faim n’est pas tout à fait d’un roman, mais une longue nouvelle ou « novella » parue d’abord dans une anthologie de nouvelles. Cette « novella » qui donne son nom au recueil, est un récit autobiographique sans concession avec pour cadre la vie dans un bidonville noir sous un régime ségrégationniste.« J’ai rassemblé mes affaires et je suis parti », ainsi s’ouvre le récit, raconté par un protagoniste-narrateur qui est l’alter ego de l’écrivain. Il est animé par le dégoût de la vie, rongé par le désespoir et la crainte de la folie qui le guette. Or il ne peut échapper à l’horreur ambiante car cette Maison de la faim qu’il veut fuir n’est pas une réalité extérieure, mais la métaphore des limites sociales et politiques que le personnage a intériorisées. « A présent la Maison est devenue mon esprit ; et je n’apprécie pas les bruits qu’on entend sur les toits », se lamente le protagoniste. C’est la force poétique de cette métaphore, doublée de la légende qu’est devenue la vie rebelle de Marechera, qui explique la réputation quasi-mythique dont jouit son roman, surtout parmi l’intelligentsia.Une vie de rebelleMarechera n’est pas un écrivain comme les autres. L’homme était un écorché vif. Il a grandi dans un township minable, et n’oublia jamais la misère et les humiliations qui furent son lot quotidien. Doté d’une intelligence hors du commun, il étudia dans une école missionnaire puis à l’université de Rhodésie, dont il fut expulsé pour avoir participé à une manifestation d’étudiants contre la discrimination. Cela ne l’empêchera pas d’intégrer quelques années plus tard la prestigieuse université d’Oxford avec une bourse, mais il en sera expulsé aussi pour comportement anarchique.Suivra une période de descente aux enfers, avec pour seuls compagnons le whisky et le cannabis. C’est pendant cette période, alors qu’il était devenu immigré clandestin en Angleterre, que Marechera rédigea La Maison de la faim. Acclamé à sa sortie comme un chef-d’œuvre de l’écriture moderniste et joycienne, l’ouvrage fut couronné par le prestigieux prix de ...
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  • «Verre cassé» d'Alain Mabanckou
    2020/08/16
    « Le Congo est toujours mon point d’inspiration, le pays qui bat dans mon cœur », aime rappeler Alain Mabanckou, écrivain originaire du Congo-Brazzaville et l’un des écrivains africains les plus marquants de sa génération. Poète, romancier, essayiste, polémiste, professeur de littérature française aux États-Unis, l’homme est l’auteur d’une œuvre protéiforme, qui a remporté de nombreux prix littéraires prestigieux. Publié en 2005 et couronné par le prix des Cinq continents, son cinquième roman Verre cassé (repris en édition poche chez Points), s’est imposé comme l’un des textes incontournables des lettres africaines contemporaines. Alain Mabanckou est sans doute aujourd’hui l’écrivain africain le plus célèbre, comme l’a pu être un peu Alexandre Dumas en son temps. Verre cassé, paru en 2005, est un peu Les Trois mousquetaires d’Alain Mabanckou, qui l’a fait connaître, en le sortant de la confidentialité. Cinquième roman de son auteur, Verre cassé s’est vendu à plus de 150 000 exemplaires, sans compter les traductions en de nombreuses langues.Il s’agit d’un roman-monde en français, jouissif et rabelaisien à souhait. C’est à la fois un livre très érudit avec des références littéraires à profusion dans chaque page, mais écrit dans un registre parlé, proche de l’oralité africaine d’une part, et inspiré d’autre part de la révolution du langage littéraire qu’a incarnée Céline qui a fait entrer la langue orale dans la littérature française.Mabanckou lui-même reconnaît que l’écriture de ce roman l’a libéré des idées reçues sur l’écriture littéraire africaine. « Quand j’ai écrit « Verre cassé », raconte-t-il, je ne le savais pas, mais j’étais en train de rompre avec mes tics d’écrivain africain. Ces tics qui veulent que l’écrivain africain soit là pour sauver l’Afrique. Mais la littérature n’est pas là pour sauver un continent ! Elle est là pour exprimer l’imaginaire d’un individu ». C’est ce que fait Verre cassé en étalant sur la place publique l’imaginaire d’Alain Mabancbou, un imaginaire fait de heurs et malheurs du Congo natal de ce dernier, mais aussi de fêlures personnelles, et, last but not least, de la connaissance intime, qu’a l’auteur des lettres mondiales auxquelles il emprunte idées, structures, jusqu’aux titres des romans insérés comme autant de citations dans ce texte.Verre cassé = SchéhérazadeIl y a quelque chose des Mille et une nuits dans Verre cassé. Ce roman ne raconte pas une seule et unique histoire, mais plusieurs histoires, venues se greffer à la quête identitaire du narrateur, forcément tragique, comme le surnom du personnage éponyme semble le suggérer.Personnage central, Verre cassé joue le rôle de Schéhérazade dans le roman. Tout comme la princesse persane, celui-ci est sommé, non pas par un sultan, mais par « L’Escargot entêté », patron d’un bistrot-bar populaire, de raconter l’histoire de son établissement. « Le Crédit a voyagé », la buvettte en question ne se désemplit pas à cause de son ballon de rouge bon marché. Assidu du bar, Verre cassé, ancien instituteur déchu, prend très au sérieux sa nouvelle mission. Il fait parler les clients les plus fidèles du bar dont il note les confessions sur un cahier de fortune.Ces clients s’appellent Mouyéké, Robinette, Casimir, Mompéro, Dengaki. Certains ne sont connus que par leurs surnoms tels que « le type aux Pampers », « Le Loup des steppes », « Diabolique », et d’autres encore… Ce sont des éclopés de la vie, des ivrognes chassés par leurs femmes et des prostituées en fin de course, ou des rescapés d’asiles psychiatriques. Ils fréquentent ce troquet mal famé du quartier des Trois-Cents pour oublier leurs malheurs, mais sont flattés d’avoir été invités à raconter leurs vies qui ont été ponctuées de grands bonheurs et d’exploits vaudevillesques.Robinette, reine du concours d’urineDe quel genre d’exploits s’agit-il ? Des exploits souvent burlesques tels que celui dont se targue la femme alcoolique Robinette au nom prédestiné, reine des concours d’urine de longue durée. La scène du concours est sans doute l’un des passages les plus truculents du livre. Elle pose l’ambiance et situe le roman dans la postérité de Rabelais et de Swift, mettant l’accent sur le comique, le burlesque et le carnavalesque, plutôt que sur l’utopique et l’élégiaque qui ont été longtemps les modes de narration privilégiés de la littérature africaine.La narration satirique de l’auteur n’épargne pas non plus le pouvoir politique et religieux. Les pages mettant en scène les vanités et les cruautés des décideurs ne sont pas sans rappeler qu’Alain Mabanckou s’est imposé ces dernières années comme l’un des critiques les plus virulents du régime congolais et d’autres dictatures ...
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  • «L'Age d'or n'est pas pour demain» par Ayi Kwei Armah
    2020/08/09
    Même si son œuvre est méconnue dans les pays francophones, le Ghanéen Ayi Kwei Armah compte parmi les plus grands romanciers de l’Afrique contemporaine. Il s’est fait connaître en 1968 en publiant The Beautyful ones are not born yet, un chef d’œuvre de littérature engagée et proche dans son écriture de la tradition moderniste occidentale. C’est dommage que la version française de ce magnifique roman, traduit par les éditions Présence Africaine, soit aujourd’hui introuvable. Comme son titre L’Âge d’or n’est pas pour demain le laisse entendre, désillusion, désenchantement sont au cœur de cet admirable roman, sous la plume de l’un des auteurs les plus marquants de l’anglophonie africaine. L’ouvrage met en scène la faillite des indépendances sur le continent.L’action du roman se déroule dans le Ghana des années 1960, accablé sous le poids de la corruption et du matérialisme cynique. Armah raconte la faillite de l’élite ghanéenne qui s’est empressée de prendre la place laissée vacante par les colonisateurs, sans se préoccuper des promesses d’égalité et de justice sociale faites par les pères fondateurs.Le titre anglais de l’ouvrage, c’est « The beautyful ones are not born yet », avec une faute d’orthographe dans “ beautyful ”, laissée telle quelle sans doute à dessein pour signifier l’aliénation. Ce titre fait référence à l’une des dernières scènes du roman où l’on voit un car bloqué à un barrage de police. Assis au bord de la route, le protagoniste assiste aux laborieuses négociations du chauffeur avec les policiers avant que le car ne puisse repartir moyennant quelques cedis sonnants et trébuchants.Armah raconte comment cette corruption administrative largement répandue dans le Ghana est en train de ronger l’âme du pays. La déception de la population est symbolisée par l’adage devenu le titre du roman peint sur la vitre arrière du bus : « L’Âge d’or n’est pas pour demain ». Un titre aussi philosophique qu’existentiel.Une carrière décousueAyi Kwei Armah est considéré comme l’un des très grands romanciers de l’Afrique anglophone, comparé par la critique aux géants comme Chinua Achebe, Wole Soyinka ou encore Ngugi wa Thiong’o. Mais Armah est moins connu que ses paires parce que sa carrière littéraire a été décousue, avec de longues interruptions.Il est l’auteur de six romans, partagés entre le modernisme à la Kafka et l’oralité traditionnelle au souffle épique. C’est une littérature d’idées que cet écrivain propose, s’inspirant notamment des analyses de la société postcoloniale par Sartre et Frantz Fanon. C’est le cas par exemple dans L’Âge d’or n’est pas pour demain. Son l’intrigue est mince, voire répétitive. Il s’agit plutôt d’une suite de situations, mettant en scène la dérive morale et spirituelle du Ghana.IntrigueNous sommes à la fin des années Nkrumah, père de la nation ghanéenne. L’idéalisme socialiste des débuts a cédé la place à l’obsession matérialiste et au cynisme. Le héros de ce roman est un employé des chemins de fer, un anti-héros qui n’a pas de nom.Désigné tout au long du roman par l’appellatif impersonnel de « l’homme », le protagoniste incarne le Ghanéen ordinaire, confronté à chaque instant de son existence à des demandes de bakchich. Mais « l’homme » lui-même refuse d’accepter des pots-de-vin, au grand désespoir d’ailleurs de sa femme et de sa belle-mère. Celles-ci le comparent à un « chichidodo », un oiseau paradoxal qui « déteste les excréments » mais adore manger « des asticots » qui y prospèrent. Elles lui proposent de suivre l’exemple de son ami Koomson qui n’a pas fait de bonnes études, mais qui est devenu ministre et vit dans le luxe, le calme et la volupté, toutes choses auxquelles la famille du protagoniste incorruptible n’a pas accès.Malgré l'insistance de ses proches, « l’homme » refusera obstinément de se laisser corrompre, d’autant que la défaite du matérialisme ambiant qu’il combat est annoncée par le coup d’Etat qui renverse le régime de Nkrumah. Dans les dernières pages du roman, on voit l’entourage du chef de l’Etat déchu contraint de prendre la fuite pour sauver sa peau, après avoir vidé les caisses de la nation. C’est ainsi que dans une des scènes quasiment insoutenables à la fin du roman, on voit l’ami ministre du protagoniste s’évader par la trappe de vidange, couvert d’excréments. Cette scène tout comme l’odeur pestilentielle de la misère et des latrines qui imprègne la cité qu’évoque Armah, sont des allégories puissantes de la désintégration morale et sociale qui est le principal sujet de ce roman.Malaise postcolonialMême si la formule « roman à thèse » a mauvaise presse, force est de reconnaître qu’il y a quelque chose de cela dans ces pages, ce qui est fortement suggéré dès ...
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  • «Le vieux nègre et la médaille», par Ferdinand Oyono
    2020/08/08
    Né au Cameroun en 1929, Ferdinand Oyono fait partie de la première génération des romanciers africains en langue européenne. Il fut haut fonctionnaire, diplomate et ministre dans le Cameroun indépendant. Il est l’auteur de trois romans, qui témoignent des heurs et malheurs de la société coloniale. Le vieux nègre et la médaille, publié en 1956, est son ouvrage le plus connu et sans doute aussi le plus original et subtil dans sa dénonciation des iniquités du monde africain dominé. Publié en 1956, Le Vieux nègre et la médaille s’est imposé comme l’un des ouvrages incontournables du corpus littéraire africain. Pourquoi ? À cause de sa dénonciation caustique et truculente de l’institution coloniale, à cause de son économie de moyens particulièrement efficace qui mêle la satire et le réalisme social, faisant revivre l’univers colonial, avec ses hommes, ses femmes et ses contradictions. Avec Mongo Beti, Francis Bebey et quelques autres, son auteur Ferdinand Oyono appartient à la toute première génération de romanciers camerounais. La fiction camerounaise se caractérise par son refus de raconter une Afrique romantique et par son souci de témoigner avant tout des réalités sociales et politiques du continent.L’essai critique sous le titre « Afrique noire, littérature rose » que publia Mongo Beti dans les années 1950 dénonçant les épigones de la négritude qui célébraient la vie africaine alors que l’Afrique vivait sous le joug humiliant de la colonisation, donne le ton des romans que donnent à lire la première génération d’écrivains camerounais. Cela donne une fiction résolument anti-coloniale, réquisitoire et dénonciatrice. Produit de cette tradition, Le Vieux nègre et la médaille propose l’un des portraits les plus féroces de la société coloniale, ce qui lui vaut aujourd’hui de figurer dans le panthéon des lettres africaines modernes.Que raconte ce roman ?Le titre résume le pitch du roman. Oyono nous raconte les tribulations de son protagoniste Méka, un vieux paysan du Sud-Cameroun, que l’administration coloniale a décidé d’honorer en lui attribuant une médaille à l’occasion des célébrations de la fête nationale du 14 juillet. La mère-patrie veut exprimer sa reconnaissance à ce vieil homme modeste dont les fils sont « morts pour la France » sur les champs de bataille en Europe. La famille a aussi cédé ses terres à la mission catholique qui y a construit son Église. Ces sacrifices valent bien une décoration.Méka, pour sa part, est très heureux de recevoir la distinction des mains du Haut-Commissaire qui s’est déplacé pour l’occasion et a fait un discours de circonstance rappelant les traditions humanistes de la France. Dans sa naïveté, le vieux paysan prend au pied de la lettre l’offre d’amitié fraternelle du « chef des Blancs » et l’invite à son tour à venir partager le bouc chez lui. Ce dernier décline la proposition, révélant l’écart entre les discours et la vérité des rapports entre Noirs et Blancs dans la colonie.Méka lui-même en prendra conscience, lorsque le soir, après la cérémonie qui ne tarde pas à tourner au grand guignol, il est arrêté par la police, brutalisé et humilié pour s’être retrouvé dans le quartier européen de la ville sans autorisation. Sous la plume alerte de Ferdinand Oyono, l’apparat du 14 juillet tout comme la cérémonie de remise de médaille se révèlent être ce qu’ils sont réellement, rien d’autre qu’une mise en scène hypocrite par les pouvoirs coloniaux qui proclament « liberté, égalité, fraternité », tout en perpétuant l’exploitation-domination des Noirs par des Blancs, accompagnée d’une ségrégation de fait.Ambiguïtés et servitudesÀ la fois réquisitoire et œuvre d’imagination, le roman d’Oyono rédigé dans les années 1950 et publié en 1956, est un document exceptionnel sur le monde colonial. Il brosse le portrait d’une société dichotomique, partagée entre Blancs et Noirs, dominateurs et dominés, sans aucune possibilité de rencontre sur un pied d’égalité. Les seuls échanges possibles sont fondés sur l’incompréhension, la domination et la violence. « Avec les Blancs on ne sait jamais », proclame le protagoniste Méka en début du roman, en se rendant avec quelque inquiétude à la convocation du commandant de cercle. Dans ces conditions, la remise de la médaille qui constitue le cœur de l’intrigue de ce roman, ne peut qu’être source de déconvenues et de tensions car elle est basée sur des malentendus.C’est cette écriture lucide des ambiguïtés et des servitudes de la société coloniale, qui fait que ce roman reste toujours lisible, plus de six décennies après sa parution. Il est d’autant plus lisible que la lucidité de ses propos passe par une langue pittoresque, ponctuée de proverbes et d’adages locaux. Enfin, ce récit est aussi très moderne, ...
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  • À fleur de peau, par Tsitsi Dangaremgba
    2020/08/02
    Considérée comme une des figures de féminisme africain, la Zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga a acquis une notoriété internationale en 1988, en publiant son roman culte « À fleur de peau ». C’est un récit autofictionnel qui raconte, à travers les heurs et malheurs de son héroïne Tambudzai, les discriminations contre les femmes dans la société patriarcale au Zimbabwe. À fleur de peau est le premier volume d’une trilogie, dont le dernier volet intitulé « This Mournable Body » a été sélectionné pour le Booker Prize 2020, prestigieux prix littéraire britannique. La romancière zimbabwéenne Tsisti Dangaremgba s’est fait connaître en publiant en 1988 son chef-d’œuvre « Nervous Conditions », traduit en français sous le titre « À fleur de peau ». Cinéaste et grande figure du féminisme en Afrique, la romancière est aussi une femme publique et à ce titre elle a participé récemment à une manifestation pour protester contre la corruption politique dans son pays. Cela lui a valu une brève arrestation par la police zimbabwéenne.L'arrestation de la romancière est survenue deux jours après l’annonce par le jury du Booker Prize que le dernier roman de l’écrivain zimbabwéenne, « The Mournable Body » pour l’édition 2020 du prestigieux prix littéraire britannique. Une actualité riche qui justifie qu’on reparle de « À fleur de peau », devenu un grand classique de la littérature africaine moderne.Un roman de formationIl s’agit d’un roman autofictionnel, campé dans le Zimbabwe colonial des années 1960, quand le pays s’appelait encore la Rhodésie. Le roman raconte le parcours initiatique d’une jeune fille noire que son père décide d’inscrire dans une école de type occidental, peu fréquentée alors par les Africains, encore moins par les filles. Cette décision qui fait suite à la mort accidentelle du frère de l’héroïne sur qui la famille fondait jusque-là tous ses espoirs, aura, comme on peut l’imaginer, des conséquences dramatiques sur le devenir de la protagoniste. Elle va la couper de ses origines, de sa langue, de sa famille, tout en lui donnant les moyens intellectuels pour se forger en tant que femme libre et moderne.« À fleur de peau » était le premier roman publié par une femme noire au Zimbabwe. Centré autour de la question de la condition féminine dans un pays aux fortes traditions patriarcales, l’ouvrage a marqué d’emblée les esprits, conduisant Doris Lessing – elle-même issue du Zimbabwe – à déclarer : « C’est le livre que nous attendions. Il est voué à devenir un classique ». Plus récemment, « À fleur de peau » a fait partie d’un répertoire de 100 livres qui ont façonné les imaginaires contemporains, établi par la BBC.« Briser le silence »Malgré cette réception enthousiaste, la publication de ce roman n’a pas été facile, comme l’a raconté l’auteur. Tsitsi Dangarembga avait 26 ans quand elle a écrit ce livre. Elle avait d’abord adressé le manuscrit à des maisons d’édition zimbabwéennes. Quatre envois, quatre refus, avant d’être repêché par une maison d’édition féministe basée à Londres. Le refus s’explique par la structure patriarcale de la société zimbabwéenne. Les éditeurs de Harare n’avaient jamais eu en main des romans avec des protagonistes femmes au premier plan.La littérature anglophone zimbabwéenne est née dans les années 1960-1970, mais longtemps la parole est restée l’apanage des hommes au sein de cette production anglophone. Les femmes sont parvenues peu à peu à « briser le silence » dans lequel elles avaient été confinées. L’audace et l’intensité des témoignages des premières femmes écrivains ont pris au dépourvu les éditeurs locaux. D’où sans doute le rejet du manuscrit de Tsitsi Dangaremgba.Un rejet d’autant plus violent que le témoignage de la narratrice-protagoniste d’« À fleur de peau », double fictionnelle de l’auteur, commence sur un ton de révolte. Le personnage déclare qu’elle ne regrettait aucunement la mort de son frère, un événement qui lui a pourtant ouvert la porte de l’école occidentale : « Lorsque mon frère Nhomo mourut, je n'éprouvai aucun regret, se souvient-elle. Et je ne cherche pas à m'excuser de ma dureté de coeur, comme vous l'appelleriez sans doute, mon manque de sensibilité. Il ne s'agit pas du tout de cela. Je suis sensible à beaucoup de choses, à beaucoup plus de choses qu'au temps de ma jeunesse, lorsque mon frère mourut. Et ce n'est pas seulement parce que je suis plus âgée. Je ne vais pas chercher à m'excuser mais entreprendre de rapporter, tels que je m'en souviens, les faits qui conduisirent à la mort de Nhamo, les événements qui m'ont permis d'écrire ce récit ». Ce début maîtrisé donne le ton de ce roman, porté par une voix aussi puissante que sophistiquée, ce qui explique son succès.« Névrose » ...
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